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Témoignage de Charles ZAJDE

En Mémoire des JustesJ'ai trouvé sur Internet le témoignage émouvant et intéressant d'un fils de déporté juif, mort dans les camps, dont la famille a été aidée, entre autre, par des personnes de l'A.O.I.P.
L'auteur, professeur à l´Université de Harvard, ingénieur-docteur en physique des hautes énergies, entrepreneur, aujourd´hui encore chercheur à l´Université d´Orsay et conseiller municipal à Orsay, a fait paraître (fin 2007) son “ Histoire de jeunesse ” aux éditions Jouve (édité à compte d'auteur) sous le titre “ En Mémoire des Justes ” (le titre initialement prévu était “ Histoire du petit Charlot ”). On trouve cet ouvrage dans les bonnes librairies de la Vallée de Chevreuse. Il m'a aimablement donné son autorisation pour la publication de cet extrait.
Depuis la parution de cet ouvrage, il a ouvert un site (www.zajde.fr) avec les témoignages de ses lecteurs.


Ceci est l'histoire véridique de Charles ZAJDE, né en France en 1934 de parents polonais juifs. Il l'a écrite en 2004.

HISTOIRE DU PETIT CHARLOT

Ma mère me l´a assez dit “ On est juif par le regard de l´autre ” (Jean Paul Sartre).

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Je suis né le 13 Mai 1934 à l´hôpital Saint Antoine à Paris un dimanche à midi par une journée ensoleillée.
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Mes parents étaient venus en France avec des passeports polonais pour poursuivre des études. Mon père, Moïse Jérémie Zajde était né le 6 mai 1903 à Ciepielow, une bourgade à l´Est de la grande ville de Radom en Pologne. Ma mère, Bruchla Pesa Ackermann vit le jour le 15 mai 1912 dans le village de Glowaczow , un hameau de quelques centaines d´habitants, à 15 kilomètres au Nord de Ciepielow.
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La spécialité professionnelle de mon père, c´était la comptabilité! Sans contrat de travail, cette discipline lui était interdite. Pour survivre, il se résolut à travailler à la machine à coudre, dans la fabrication des vêtements de cuir.
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Ma mère cousait alors les boutons de ces canadiennes que mon père fabriquait et quant à moi je dessinais et découpais avec une paire de ciseaux sur du papier des wagons de train car mes parents n´avaient pas les moyens de m´acheter des jouets.
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Ainsi en septembre 1939, je retrouvais mes parents et un nouvel appartement, situé dans un quartier résidentiel de la capitale, au 28 rue des Vinaigriers, toujours dans le dixième arrondissement de Paris.
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Mon père s ‘était engagé volontairement dans l´armée française pour la durée de la guerre, dans le corps d´armée de la légion étrangère en bénéficiant de la nationalité d´apatride. Mais l´espoir était grand que cette guerre ne durerait pas très longtemps, car la France disposait de l ‘armée la plus puissante du monde. Et ma mère se consolait de cet exode au fin fond de la campagne française, et de cet éloignement, car cette séparation serait de courte durée, Mon père serait démobilisé probablement rapidement afin que nous puissions nous retrouver ensemble dans notre nouvel appartement à Paris.
Mon père fut vraiment démobilisé fin mai 1940, mais pas dans les conditions prévues de la victoire. On lui donna le choix à Perpignan soit de rejoindre l´Afrique du Nord , en oubliant pour le restant de la guerre sa femme et son fils, soit d´être réformé et démobilisé et de rentrer à la maison. Il prit cette dernière proposition pour son malheur, sans garantie qu´il aurait survécu s´il avait combattu pour le restant de la guerre.
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malgré les rafles de juifs étrangers qui avaient lieu dans le 11ème arrondissement de Paris, mon père considéra qu´il n´était pas concerné, puisque ses papiers étaient parfaitement en règle avec le commissariat de police du dixième arrondissement de Paris. Sa carte d´identité était parfaitement à jour et enregistrée, de plus sa démobilisation militaire dûment entérinée.
Mon père avait des commandes de l´administration française pour des clients militaires allemands et il s´obstinait à ne pas croire aux avertissements de personnes bien informées qu´il risquait d´être arrêté.
Mon père fut arrêté le jeudi 21 août 1941 à 6 heures du matin par la police française et amené au camp d´internement à Drancy avant de partir le 22 Juin 1942 à Auschwitz avec le premier convoi numéro 3, qui quitta la Gare Le Bourget Drancy pour aller, soit disant, travailler dans les pays de l´Est, en fait à Auschwitz Birkenau.
D´après des témoins survivants, il se donna la mort le 3 Août 1942, lorsqu´il vit arriver les premiers convois de femmes et d´enfants que l´on poussait directement vers les chambres à gaz. Il se jeta contre les fils de fers barbelés électrifiés, pour ne pas assister parait-il, à la venue probable de sa femme et de ses deux enfants, vers ce bâtiment d‘extermination.
Comme il était interdit de se suicider, “ soit même ”, les autres prisonniers eurent droit à une séance macabre, organisée par les geôliers allemands, de la pendaison en public de mon père déjà décédé, devant tout le baraquement, afin que son geste ne soit pas imité par d‘autres. Le privilège de donner la mort étant réservé aux gardiens allemands ou à la nature par les privations alimentaires et les travaux forcés !
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Ma grand-mère était devenue française par son mariage avec Monsieur Zinenberg en 1936 et cette première rafle du 16 juillet 1942 ne concernait que les juifs de nationalité étrangère. On se réfugia donc provisoirement dans cet appartement d´une pièce ou logeait ma grand-mère depuis qu´elle avait cédé le sien rue du Transvaal dans le 20ème arrondissement à ma tante Paulette. Ma tante, travaillait à l´A.O.I.P. à la suite de la mobilisation de mon oncle le 1er septembre 1939, qu´elle remplaça dans cette usine de fabrication de centraux téléphoniques. Depuis que mon oncle avait été fait prisonnier sur le front de la ligne Maginot en mai 40 ma tante habitait seule dans cet appartement de trois pièces, au premier étage d‘un petit immeuble de 2 étages, situé sur l´arrière cour de la maison donnant sur la rue. Ma mère nous laissa auprès de notre grand-mère et se dirigea vers l´appartement de ma tante Paulette, et elle attendit son retour. Le soir ma mère et ma tante vinrent nous rechercher, ma petite sœur et moi pour nous conduire à l´abris dans ce refuge de fortune.
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Ma mère nous expliqua tout ce qui lui était arrivé depuis notre séparation et comment elle avait passé la fin de la guerre. Cachée avec ma sœur dans la forêt de Villeparisis, ma tante venait chaque dimanche leur apporter un peu de nourriture qu´elle se procurait grâce à de fausses cartes d´alimentation que lui avait fournies des sympathisants à l´usine de l´A.O.I.P.
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Mon Oncle Henri suggéra de placer ma sœur en nourrice dans une famille dont il avait eu connaissance par l´intermédiaire d´amis de L´A.O.I.P., où il travaillait depuis son retour d´Allemagne. C´est ainsi qu´il accompagna ma petite sœur Annette chez Madame Roger à Saint M´Hervé dans le département de l´&Ile et Vilaine en Bretagne, dès la fin des vacances scolaires de Pâques.
Moi je retournais à l´école du Cours Complémentaire de la rue Poulmarch et pour alléger le fardeau de mon Oncle Jankiel, on m´inscrivit à la cantine de l´école et à l´étude du soir, ce qui m´obligeais à m´absenter de la maison de huit heures du matin à six heures du soir.
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Au cours de ses séjours à Paris il a rencontré des gens qui lui ont proposé de travailler dans des entreprises de construction électriques dans la région parisienne, il s´installa donc à Paris. Les années passèrent et une opportunité survint qui lui permit d´être engagé par l´A.O.I.P., ( Association des Ouvriers de l´Instrumentation de Précision ) une société spécialisée au début dans la construction des gyroscopes puis dans les centraux téléphoniques et de tout l´équipement des appareils qui gravitaient autour des transmissions.
C´est ainsi qu´il rencontra ma tante Paulette, la jeune sœur de ma mère au début de 1939.
Je fis sa connaissance au cours d´une de ses visites chez ma grand mère ou je demeurais à l´époque avec ma mère et ma tante. Je sympathisais immédiatement avec lui car il savais raconter des histoires drôles, et je crois qu´il avait un faible pour les garçons, pensant probablement que l´heure était venue de créer une famille et d´avoir des enfants à lui avec de préférence un garçon en premier. Mon oncle Henri et ma tante Paulette se marièrent fin juillet 1939 et partirent immédiatement en voyage de noce à Menton sur la côte d´Azur en Août et revinrent le premier septembre. A leur retour, il trouva sa feuille de mobilisation générale et dû rejoindre aussitôt son régiment stationné sur la ligne Maginot. Pendant ses années d‘activité à l´A.O.I.P. il avait établi d´excellentes relations avec ses compagnons de travail et en particulier avec des personnes qui interviendront efficacement dans la survie de ma mère et de ma petite sœur au cours de la guerre. Il s´agit du couple des Redinger et d´un autre couple, d´extrême droite, qui aura l´occasion d´héberger ma mère et ma sœur dans un cabanon de la forêt de Villeparisis.
Dès que mon oncle fut mobilisé, la Société A.O.I.P. proposa à ma tante de venir travailler en remplacement de mon oncle et ainsi de pouvoir toucher les salaires qui lui étaient destinés. Ma tante avait 21 ans en 1939. Elle n´avait passé qu´un mois avec son époux avant cette séparation qui allait durer plus de quatre ans. Ce fut pour elle une grande frustration et un douloureux déchirement de voir partir à la guerre son jeune époux et peut être y risquer sa vie.
Mon oncle, stationné à l´arrière de la ligne Maginot, fut fait prisonnier, après le 17 juin 1940, à la suite de l´ordre donné par le Maréchal Pétain de cesser le combat entendu à la radio lors de son discours
[…]
Son retour auprès de ma tante fut de courte durée car dénoncé par des voisins, la gendarmerie française accompagnée de la feld gendarmerie allemande, se présenta au domicile de ma tante pour arrêter mon oncle.
Heureusement mon oncle avait réintégré son emploi à l´usine de l´A.O.I.P. et n´était pas à la maison lors de la visite des policiers. Ma tante, d´un air convaincant et déterminé, sans se démonter, déclara que son mari était prisonnier de guerre en Allemagne et qu´elle ne l´avait pas revu depuis 1939. Une fois la police partie, elle prévint par téléphone mon oncle qui ne remit pas les pieds au domicile et en accord avec la direction de l´A.O.I.P., il fut envoyé en zone, dite, libre à Châteauroux, où l´entreprise avait une usine de production. C´est là qu´il passa le restant de la guerre, jusqu´à la libération de Paris.
Ma tante qui avait suivi, à son arrivée en France en 1934, les cours du soir de l´éducation nationale, parlait parfaitement le français, sans accent. Enlevant son étoile jaune, elle prenait ainsi le risque de se faire arrêter, en rejoignant assez souvent mon oncle à Châteauroux, par le train dont les gares étaient surveillées et contrôlées. Mais son cœur battait à grand coup à chacun de ses voyages en amoureux.
Mon oncle avait une piètre opinion sur les hommes politiques. Il reconnaissait avoir eu dans sa jeunesse des sympathies pour le parti communiste, mais aussi, avoir été déçu par l´antisémitisme pratiqué dans le pays des soviets. Puis par l´attitude de Maurice Thorez qui s´était enfui de France en Russie dès le début de la guerre. Enfin le retournement du secrétaire général du parti communiste français, Jacques Doriot, qui avait rejoint le parti Nazi, que mon oncle insistait pour rappeler qu´il s´agissait du parti National Socialiste Allemand, sans utiliser les initiales, qui avaient été banalisées et diabolisées.
Il était également aigri de voir comment ceux qui avaient traficoté pendant la guerre avec le marché noir ou la collaboration, s´étaient enrichis et tenaient maintenant le haut du pavé. Alors que lui ouvrier, toute sa vie, continuait à vivre une vie modeste. Il aimait me donner des conseils. Il avait perdu toute sa famille en Pologne, dans les camps d´extermination. Il ne lui restait en France que moi, son neveu, des cousins émigrés aux États-Unis et un autre cousin en Israël.
[…]
Par la suite, il se contenta de se consacrer au travail, et surtout à une activité qu´il n´avait pas choisie, en se mettant à son compte dans la confection de vêtements, mais cela lui permit de gagner plus facilement la vie de sa famille. Il regrettait l´ambiance de l´A.O.I.P., et des retrouvailles au bistrot, au coin de l´usine, pour boire l´apéritif et célébrer les moindres évènements de l´usine avec ses camarades de travail.
Ses amis, dont les Rédinger, qui habitaient l´Hay les Roses, et à qui il devait une fière chandelle, pour avoir pris soin de sa femme et de sa belle sœur pendant la guerre, lui manquaient et cela le rendait encore plus amer. Il nous arrivait de leur rendre visite, le dimanche, dans leur pavillon de banlieue à L´Hay les Roses, et je m´interrogeais d´où venait leur surnom d´Avion. En fait tout simplement parce que Monsieur Rédinger avait travaillé dans la société qui avait précédé la création de l´A.O.I.P. qui produisait les gyroscopes pour l´armée de l´air après la guerre de 14-18. Il m´avait pris en sympathie, et nous invitait assez souvent.
Les Rédinger n´avaient pas d´enfant, aussi avaient-ils du plaisir à me confier les souvenirs de leurs jeunesses, car ils savaient qu´après eux, leurs mémoires disparaîtraient, à jamais, sans laisser de traces.
[…]
Mon Oncle mourut en 1987, terrassé par un cancer cérébral galopant.

Remarque : on retrouve le nom de Rédinger dans les premières années de l'école (vers 1917) ; j'en ai connu un aussi il y a une dizaine d'année : s'agit-il de cousins ?


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