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croise l'Histoire du cinéma


L´atelier de l´Association des Ouvriers en Instruments de Précision ouvre en avril 1896, 117 avenue du Maine à Paris XVe.

Un particulier leur passe une première commande de 110 appareils photographiques d´un modèle nouveau. Au début cette petite commande occupe 3 ouvriers. Des associés, spécialistes en appareils photographiques viennent travailler chaque soir, après leur journée chez un patron, et souvent le dimanche. La commande put être honorée avec quelques problèmes financiers. Un certain découragement se fait sentir.

Au début de novembre, une nouvelle commande vint ranimer les courages. Renseigné sans doute sur la valeur professionnelle des membres de la jeune Association, l´ingénieur, M. Normandin, lui confie la construction de l´appareil cinématographique qu´il venait d´inventer.

Il est important de rappeler ici le contexte historique de l´époque : l'invention du cinématographe, attribuée à Louis Lumière, est en fait l'aboutissement d'une recherche collective qui s'inscrit sur près d'un siècle. De l'invention de la photographie par Nicéphore Niepce vers 1816 aux recherches sur le mouvement, le XIXe siècle est ponctué de découvertes techniques et scientifiques autour de l'enregistrement du son et de l'image, dont le cinéma est la synthèse.

L'invention du “ cinématographe ” en 1895, avec son procédé spécifique de défilement régulier de l'image à l'aide d'une griffe qui entraîne la pellicule perforée, vient couronner cette succession de recherches.

cinématographe
Exemple d'appareil de projection de cette époque
La première projection publique et payante eu lieu le 28 décembre 1895, au Grand Café, à Paris, puis dans les théâtres et les foires, le cinématographe suscite un extraordinaire enthousiasme auprès d'un public ébahi devant ces images qui bougent.

A la même époque, Charles Pathé rencontre Henri Joly, mécanicien photographe, fort intéressé par ces nouveaux appareils. Etonné par le prix des bandes pour le kinétoscope dont Edison a le monopole de la fabrication, il propose à Pathé de fabriquer un appareil de prise de vues. Pathé avance les fonds et Joly se met au travail. L'appareil proposé coûte trop cher et Pathé prend la décision de se séparer de son associé Joly.

Henri Joly, s'associe alors à l'ingénieur électricien Normandin . Ensembles ils mettront au point un projecteur. L´appareil cinématographique qu´ils venaient d´inventer comporte un premier perfectionnement technique important sur les appareils existants et alors très imparfaits. Le cinématographe perfectionné Joly-Normandin est un appareil réversible qui permet la prise de vue et la projection pour concurrencer le système Lumière, en utilisant une technique différente d´entraînement saccadé du film.

L´inventeur fit une commande de douze appareils à l´AOIP et l´on se mit à l´ouvrage le 16 novembre. La construction du premier appareil permit d´occuper, d´une manière permanente, plusieurs associés choisis parmi les spécialistes jusqu´en février suivant.

L´appareil donna pleine satisfaction à l´inventeur qui trouva une heureuse occasion de le faire connaître du grand public. Chaque année la haute société parisienne se dispute l'honneur de participer au Bazar de la Charité ; c'est une oeuvre de bienfaisance où les gens les plus riches viennent manifester leur générosité pour les plus démunis. Le 3 mai 1897, cette manifestation s'installe au 17 rue Jean Goujon, près des Champs Elysées.

Le projecteur fut installé à la fête ; c´était pour l´Association une occasion exceptionnelle de faire apprécier ses capacités techniques par les hommes compétents.

plaque Normandin
Publicité E. Normandin
On tend un immense vélum sous lequel des décors de carton-pâte, de bois blanc et de toile peinte sont installés. Un peu plus loin, une petite salle abrite le cinématographe destiné surtout aux enfants et aux jeunes filles ; le projecteur 35 mm Normandin et Joly est placé derrière une toile goudronnée pour l'isoler du public. Les bouteilles d'oxygène et bidons d'éther nécessaires au fonctionnement de la lampe (car l'électricité est encore rare à cette époque) sont stockés à l'extérieur. La lampe se compose d'une sorte de carburateur oxyéthérique dans lequel un fin filet de vapeur d'éther enflammée se trouve projeté contre un manchon de terre rare ; c'est le contact de la flamme avec ce manchon qui génère la puissante lumière. Avant l'ouverture officielle de cette grande fête, Normandin inspecte les lieux et n'est pas satisfait de ce local de projection ; de plus, la lampe ne fonctionne pas comme il le souhaite, mais le fabricant, Molteni, n'est pas en mesure de lui en fournir une autre. Normandin interpelle l'organisateur de la fête, la baron de Mackau, qui semble agacé par ces problèmes techniques du cinématographe et les considère comme secondaires. Le mardi 4 mai 1897, jour de l'inauguration officielle de la fête, tout fonctionne parfaitement ; le cinématographe connaît un gros succès et ne désemplit pas. Il est environ quatre heures de l'après-midi, quand une violente explosion survient et déclenche un immense incendie. En quelques minutes, le Bazar de la Charité devient un vaste brasier dans lequel vont périr 129 personnes appartenant pour la plupart, à la noblesse de l'époque, dont la duchesse d'Alençon, soeur de l'impératrice d'Autriche. Les causes de cet incendie sont controversées ; certains historiens l'attribuent à la maladresse de l'assistant qui, suite à l'extinction de la lampe, aurait approché imprudemment une allumette de la lampe, avant qu'elle ne fut refroidie, provoquant l'embrasement de la vapeur sous pression. D'autres affirment qu'il s'agit simplement du dysfonctionnement de la lampe.

L'incendie du Bazar de la Charité va freiner pour un temps l'engouement du public pour cette invention si dangereuse. La classe bourgeoise va désormais la mépriser et le cinéma va se réfugier dans les baraques foraines où il va conquérir une nouvelle clientèle. Plus tard, il faudra construire des salles pour rassurer le public et effacer l'hostilité de l'élite cultivée.

La catastrophe ruina l´inventeur qui ne put payer l´Association. Celle-ci dut suspendre ses paiements et faillit disparaître. Elle ne fut sauvée que par le courage de ses fondateurs, se raidissant contre le sort.

Sans ce malheur, l'AOIP aurait peux être connu ses premières heures de gloire dans le domaine du cinéma. M. Normandin régla intégralement sa créance plusieurs années plus tard.

Aujourd´hui il ne reste plus qu´un seul exemplaire de ce projecteur, provenant de la collection “ Paul Génard ”, visible au Musée Gadagne à Lyon. S'agit-il d'un des modèles construit par la jeune AOIP ?

Certaines encyclopédies du cinéma citent M. Normandin comme un des inventeurs méconnus du cinéma. Il subsiste, en Suisse, un fonds de films Joly-Normandin composé de 15 courts métrages (environ 1 minute chacun) datant des années 1896 et 1897, restauré en 1996. On y apprend que les films du fonds Joly-Normandin sont des films nitrate positif 35mm non standard, c'est-à-dire qu'ils présentent 5 perforations par image (au lieu de 4) et possèdent des images parfaitement carrées.

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