retour Accueil Récit de l'éxode (juin 1940)

Rapport du Conseil d´Administration

sur la période fin Mai à Août 1940

La situation paraissant redevenir normale, il nous semble utile de faire le point sur les dispositions prises au cours de la période juin-juillet, en accord avec le conseil, la direction et la C.O.T.(*1)

Dès fin mai, la situation devenant sérieuse Delagarde suggère de dédoubler la direction, c´est à dire de désigner un des 3 directeur pour se rendre à St-Cyr-s/Loire ou dans toute autre ville de province et suivant les évènements, d´établir une liaison immédiate avec l´administration des P.T.T.

Tout en retenant cette suggestion, le conseil reste perplexe quand au choix du camarade, chaque membre de la direction ayant son utilité à Paris. Au début de juin, la situation devenant critique cette suggestion est reprise et un ensemble de dispositions est prévu pour mettre le matériel et les archives de l´association à l´abri.

Une 1ère décision est prise : celle de transférer la fabrication des appareils courants porteurs à St-Cyr-s/Loire. Waill et quelques camarades de l´équipe sont invités à se rendre directement à St-Cyr et commencer le travail.

Il est envisagé de démonter une partie du matériel (tours, machines à pointer etc…) et de les expédier. Par la suite cette idée est abandonnée.

Dès le 6 juin, toujours en accord avec la direction et la C.O.T., le conseil prend les dispositions nécessaires pour faire transporter les archives. Les différents chefs de service sont consultés : Imbert, Plauzac, Sainhapt. Malgré les inconvénients qui vont en résulter, tous les camarades sont d´accord pour sauver ce qui, par la suite, nous permettra de poursuivre nos travaux.

Le dimanche 9 juin, le conseil réuni avec la direction et la C.O.T. décide :

1 – l´évacuation de l´outillage, des appareils terminés ou en cours de fabrication (courant porteurs).

2 – tout le matériel de la T.M. Ensuite, si les évènements le permettent, l´outillage des clés, jacks, relais, l´outillage des extensibles ainsi que toute les fabrications Ratier.

Lejon demande d´y adjoindre tout ce qui intéresse le rural [mural ?]. Delagarde demande un état du matériel P.T.T. terminé et se charge d´en assurer le transfert.

Préalablement, Levenis avait été désigné par le Conseil pour se rendre à St-Cyr-s/Loire avec le directeur de l´Hirondelle(*2) afin de dresser un état des travaux à entreprendre en vue de la mise en marche éventuelle de l´usine. Dans l´esprit du Conseil et de l´ensemble des camarades responsables ces dispositions permettaient un dédoublement devant assurer une reprise plus ou moins grande de notre activité.

Le 10 juin, réunion plénière du Conseil, de la direction et de la C.O.T. Il est décidé qu´un membre du Conseil, un de la direction et un de la C.O.T. se rendront à St-Cyr-s/Loire préparer l´installation des différents services.

Sont désignés : Ribeyre (Conseil), Daubigny (direction) et Moulin-Neuf pour la C.O.T.

Cette décision est communiquée aux camarades associés dans une réunion d´atelier tenue au réfectoire.

A partir de cette date, Conseil et Direction siègent en permanence.

Le 11 juin, une note du gouverneur militaire de Paris, parue dans la presse, enjoint aux hommes de 18 à 48 ans, qui ne sont pas dégagés d´obligations militaires, de quitter Paris avant minuit ; des ordres contradictoires arrivent par la suite.

La production étant totalement arrêtée, le personnel est invité à quitter l´usine et à se présenter le lendemain 12 à 7 heures.

Le 12, la situation est devenue plus grave, l´ordre est à nouveau donné que tous les affectés spéciaux se replient.

Le Conseil, la Direction, la C.O.T. examinent la situation. La majeure partie des camarades responsables se trouvant toujours sous le contrôle militaire, devons nous nous soumettre à l´ordre du gouverneur militaire de Paris – après discussion il est décidé d´appliquer cet ordre.

L´autorité militaire nous ayant fait parvenir des ordres de mission, les camarades sont invités à se grouper par 20 ou 30 sous la direction d´un responsable de groupe et de quitter Paris. Toutes ces dispositions sont portés à la connaissance du personnel au cours de 3 réunions d´atelier ou interviennent Prudhomme, Delagarde, Coutelle.

L´atelier social est considéré fermé à la date du 12 juin ; ordre est donné aux affectés spéciaux de rejoindre St-Cyr-s/Loire par leurs propres moyens.

Il est décidé de verser un acompte de 800fr à tout le personnel et une avance de 500fr aux retraités prise sur la mensualité du mois de juin.

Après le départ du personnel, une délégation de camarades associés dégagés de toute obligation militaire demande à ce que quelques camarades restent pour représenter la maison en cas d´occupation.

Le camarade Flauzac, réformé, dégagé de toute obligation militaire, accepte cette charge. Une provision lui est laissée pour les besoins immédiats de l´association. Un état de la trésorerie est dressé et sur proposition de Delagarde, sept camarades sont désignés pour mettre en lieu sûr les valeurs de l´association.

Un ordre spécial de mission est donné aux camarades Delagarde, Lejon, Hubert, Gaveceau, Bertinetto, Margra et Prudhomme. Ces camarades, à l´exception de Delagarde et Lejon prennent le départ pour St-Cyr-s/Loire le 13 juin à 4 heures du matin, arrivent à Tours le 14 dans la soirée.

Ribeyre, Daubigny, et Moulin-Neuf arrivés précédemment n´ont pût, vu les circonstances, prendre les dispositions permettant la mise en route de l´usine ; toutefois des aménagements ont été faits pour l´arrivée des camarades, assez nombreux, venant de Paris.

Le 15 juin, journée d´attente et démarches de Daubigny au S.F.I.(*3) de Tours.

La situation va en s´aggravant, le S.F.I. évacue Tours et nous demande de mettre 2 chauffeurs à sa disposition : Leprince et Lelong. Il demande à Daubigny de prendre ses dispositions pour se replier à nouveau.

Le dimanche 16 juin à 9 heures, nouvelle démarche de Daubigny : le S.F.I. demande à lui livrer nos voitures. Sur réponse de Daubigny que nos voitures sont parties le S.F.I. n´insiste pas.

Devant cette situation les membres présents du Conseil, de la Direction et de la C.O.T. se réunissent. Que devons nous faire des archives documentaires, calques et des 5 camions ?

L´administration des P.T.T. consultée ne donne aucun ordre précis. La situation est délicate, nous n´avons plus aucun lieu de repli ignorant si la maison Ratier peut nous accepter à Figeac ou Aurillac. Finalement à l´unanimité des responsables présents, il est décidé de faire l´impossible pour sauver le matériel et les archives et de se replier à nouveau.

Le personnel présent à St-Cyr-s/Loire est réuni et communication lui est faite de cette décision : les camarades Hubert et Mougin Maurice s´engagent à rester à St-Cyr-s/Loire jusqu´à la dernière extrémité.

Afin de faciliter le retour des camarades soit dans leur famille, soit dans un lieu de [convenance ?] choisi par eux, cinq voyages sont organisés : 2 en direction de Saumur, 1 pour Poitiers, 1 pour Châteauroux et 1 pour Limoges.

Daubigny n´ayant pas de renseignements précis pour une évacuation possible à Figeac ou Aurillac, les voitures, chauffeurs et convoyeurs, devront se rendre à Fanet (Hte Vienne) où nous aurons la possibilité de les garer. Ribeyre et Margra partent les premiers avec le camion militaire transportant les archives, contacts et toutes les valeurs.

Le 18 juin, les archives et toutes les voitures sont réunies à Fanet.

Dès le 20, les démarches sont entreprises pour assurer la liaison avec l´Administration et ensuite avec les camarades disséminés un peu partout. Après visite au central de Limoges, M. Platel, ingénieur en chef, nous met en rapport avec M. Uzenot. Nous avons un numéro d´ordre officiel nous donnant la priorité pour les demandes téléphoniques.

Le même jour, nous obtenons Bordeaux et signalons notre situation à M. Lange, directeur de l´exploitation téléphonique. Ordre nous est donné de rester en liaison avec M. Platel, ingénieur en chef. En cas d´occupation de Limoges, assurance nous est donnée que le camion transportant les archives, pourra être garé dans la cour du central téléphonique de Brive. Aucune assurance pour le reste du matériel.

Depuis cette date (20 juin) démarches presque quotidiennes à Limoges qui nous permettent d´être en liaison avec M. Chauvet, adjoint de M. lange et M. Marzin pour les courants porteurs.

Nous nous présentons au S.F.I. de Limoges et demandons des instructions pour nos affectés spéciaux.

Le 21 juin, une lettre signée du capitaine commandant le S.F.I. nous autorise à garder notre personnel et à attendre les instructions pour notre rapatriement sur Paris. Des indications nous sont fournies nous permettant d´allouer 5fr de l´heure à notre personnel. Ces sommes étant à prendre sur les marchés en cours et l´ensemble du personnel ne pouvant en bénéficier nous jugeons préférable de nous abstenir.

Nous nous mettons en rapport avec les représentants des coopératives de Production de la région. Grâce à l´obligeance des camarades Rossignol, directeur de coopérative, et Cougnoux, adjoint au maire de Limoges, nous sommes introduits à la Préfecture de la Haute-Vienne. Nous obtenons ainsi le 9 juillet un ordre de mission pour rejoindre Paris.

Cet ordre est annulé la 2 par décision de l´autorité militaire, aucune décision ne permettant le passage de la zone libre à la zone occupée.

Les pourparlers sont arrêtés quelques jours.

Le 6 juillet, par une personne interposée, nous essayons d´avoir des nouvelles de l´A.O.I.P. Le 11 nous apprenons que cette personne a communiquée notre adresse à Delagarde qui, avec Lejon et 70 camarades, se trouve à l´usine où le travail a partiellement repris. A partir de cette date nous correspondons avec Paris et au reçu de la première lettre, datée du 9 et reçue le 17 juillet, nous signalons à tous ceux avec qui nous sommes en rapport de s´adresser au siège social.

Une correspondance échangée avec le groupe de Périgueux nous fait savoir que de leur côté, Daubigny et Gavereau tendent au même but que nous.

Le 22 juillet nous obtenons de l´Administration un ordre nous enjoignant de rejoindre Paris immédiatement pour coopérer à des travaux d´installation de centraux téléphoniques. Par précaution nous faisons établir les états en double exemplaires route et voie ferrée.

Grâce au camarade Roy rencontré à Limoges, nous recevons le 27 un ordre de mission de Vichy, signé du Ministère du Travail ordonnant à Ribeyre de rejoindre Paris avec son personnel et son matériel.

Le 29, Margra recevait de l´A.O.I.P. un ordre de mission signé du ministère du Travail, lui enjoignant de rejoindre Paris en qualité de chef d´atelier. Restait à faire apposer sur cet ordre les visas de la Préfecture et de la région militaire. Ces ordres arrivant après ceux de M. Platel ne purent être utilisés pour notre retour.

Nous continuons les démarches près de toutes les administrations : Préfecture, P.T.T., S.N.C.F., chambre de commerce de Clermont Ferrand et de Limoges. Enfin nous obtenons, en tant que fournisseurs du réseau P.O.(*4) un wagon et 5 plate formes pour le dimanche 28 juillet. Nous prévenons les camarades de Périgueux de se tenir prêts et donnons rendez vous le 28 à 18 heures.

Les préparatifs terminés nous apprenons le même jour vers midi que le trafic ferroviaire est arrêté pour un temps indéterminé. Tout est à refaire, les camarades se décourageant. Devant cette situation, et après consultation des camarades associés réunis à Fanet, Ribeyre propose de rejoindre Paris immédiatement avec Prudhomme. Après échange de vues, les camarades demandent à ce que Prudhomme reste afin de continuer les demandes faites jusqu´à présent en liaison avec Ribeyre. Ils sont d´accord pour que Ribeyre se rende seul à Paris. Les démarches reprennent dès le lendemain. Les relations postales avec Paris sont supprimés.

Ne recevant aucun ordre, nous agissons de notre propre initiative. Le trafic par route étant rétabli, nous prenons les dispositions pour le transfert par route de trois voitures. Nous obtenons l´essence nécessaire et attendons le départ.

Enfin le 3 août, nous obtenons un wagon et une plate-forme. Départ le 6 août à 22h06´.

Les camarades prennent le train et le 7 au matin, les trois voitures prennent la route.

Nous arrivons à Paris le 8 août vers 22 heures.

Nous pensons qu´à la lecture de ce résumé, les camarades comprendront les difficultés innombrables que nous avons rencontrées et qui ont retardé notre retour.

U point reste acquis : Chargé officiellement de mettre à l´abri le matériel, les archives et la documentation ainsi que les valeurs, nous avons ramené tout ce qui nous avait été confié.

D´autre part, à dater du 2 août, le Conseil se composait de 6 membres y compris son Président (manquait seul Prudhomme en mission). Le comité de gestion, dont nous reconnaissions l´utilité dans les circonstances se déclarant habilité pour gérer la coopérative n´a pas cru devoir remettre ses pouvoirs au Conseil.

Afin d´éviter toute friction, qui n´aurait pu être que nuisible à l´A.O.I.P. nous avons préféré pour rétablir une gestion normale nous en remettre à une Assemblée Générale convoquée régulièrement.

Paris le 16 août 1940
Pour le conseil d´administration
le Président
Ed Ribeyre

Les noms sont sous réserves de leur bonne transcription…

*1 C.O.T. : Commission d´Organisation du travail
*2 l'Hirondelle : coopérative du bâtiment qui travailla souvent pour l'A.O.I.P.
*3 S.F.I. :
*4 P.O. : Société gérant la ligne de trains Paris-Orléans


Suite : la Relève (note de service de juillet 1942)

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